VENI, VIDI, VICHY !
Quelle formidable épopée que celle de l’IRONMAN, j’ai comparé ça à un mariage : beaucoup de préparation avant, convier les invités, trouver une belle tenue, partager ça en famille, une journée qui passe trop vite et tellement d’émotions. Bref une explosion de saveurs qui fait appel à tous les sens.
Dans l’IRONMAN, c’est la préparation qui m’a semblée plus difficile que le jour même vérifiant ainsi l’adage « entraînement difficile guerre facile ».
Quinze jours après, j’essaie de faire le point sur la course et les images s’entrechoquent encore.
23 août, je termine le travail enfin et je vais pouvoir enfin me consacrer au meilleur moment de la préparation mais aussi celui qui amène à un temps de réflexion et de méditation.
Dès le 24 août au matin, je pars pour Vichy rejoindre mon endroit de repos jusqu’au dimanche : la « villa » de Sandrine et Yves. C’est la première fois qu’ils partagent leurs maisons via le site AirBNB. Yves est un fidèle bénévole des courses de Vichy, avec sa famille, ils vivent l’évènement. Alors quand l’organisation alerte sur le manque de logements, Yves y voit là un moyen de vivre cette passion au cœur même avec les athlètes !
Leur maison va bientôt devenir notre chez nous et contribue à m’apporter un esprit serein…ou presque.
Car avant ce genre d’évènements, plein de doutes, de questions virevolent dans ma tête. Heureusement, j’ai apporté avec moi mon soutien à savoir mon mari, ma maman et mon beau-père afin qu’ils me
rassurent sur ma capacité à aller jusqu’au bout. Eux y croient fort, alors il n’y a pas de raison que moi non. J'ai la chance de vivre cet évènement en famille : mon mari, ma mère, mon beau papa.
Chacun d'eux va m'apporter tout ce dont j'ai besoin pour me sentir rassurée et encadrée : du soutien, de la joie, de l'amour !
Surtout que je sais pourquoi je suis là et pourquoi je veux accomplir cet IRONMAN. J’irai au bout de ce défi parce que je veux avoir ma revanche sur un passé douloureux. Il y a 10 ans j’ai subi une agression, violée et meurtrie par 3 hommes, j’ai sombré dans un profond gouffre d’où je ne pensais plus pouvoir me relever. Dégoût de moi, dégoût de la vie, renoncement à toute joie, isolement, dégradation et enfin destruction jusqu’au climax avec l’alcool.
J’ai porté ce lourd fardeau, visible dans mon corps devenu difforme et mon esprit appauvri. Et puis un jour …Et puis il était une fois… Il était une fois où j’ai décidé d’en finir complètement. Ayant sûrement ce jour sombrée dans l’abîme, on ne peut que remonter. C’est le début de mes premiers pas sportifs qui en ce 28 août aboutissent à l’ascension de Mon Everest.
Armée de cette conviction et de cette rage, je suis prête à tout pour arriver au bout. J’ai décidé de faire repos complet, pas même une petite sortie vélo. La chaleur est suffocante et je ne veux pas perdre mon énergie. Alors je fais transat au bord de la piscine…
Je suis toutefois heureuse de pouvoir partager un moment convivial avec d’autres athlètes venus affronter Vichy soit sur le half soit sur le full.
Nous sommes une petite dizaine à venir nous encourager mutuellement et nous aviser de derniers conseils de gestion de courses autour d’un cocktail au nom paradisiaque Bora-Bora…forcément nous sommes au Tahiti bar.
Le jour J tant convoité finit par arriver et le stresse est à son comble. Forcément, lorsque l’on sait que l’on part dans une zone d’endurance inconnue, jusqu’où mon corps me portera est la principale question qui me taraude. J’ai déjà appris beaucoup lors de ma préparation, notamment au niveau patience- je sais qu’il y a et qu’il y aura des moments de moins bien- et de sagesse- être à l’écoute des signaux de son corps et apprendre à le chouchouter pour qu’il donne le meilleur de lui-même. Il ne reste plus qu’à appliquer les préceptes.
Tout est checké déjà depuis la veille mais le jour J si on a regardé 100 fois si le matériel est là au bon endroit on jette encore un dernier coup d’œil. On s’assure que les paramètres matériels sont déjà en place.
Se dirigeant vers l’ultime sas de départ natation, je croise ma maman qui est déjà prête face à la zone de sortie, prête à crier mon nom, prête à une folle journée de supporter. En croisant son regard et lors d’une dernière accolade, je fonds en larme, relâchant toute la pression accumulée depuis des mois. J’ai envie qu’elle soit fière de moi. Je repars sanglotant avec mon mari qui lui aussi se met en mode larmoyant et nous pleurons l’un dans les bras de l’autre. Cette aventure c’est la mienne mais c’est aussi la nôtre. Le sport nous a fait nous rencontré, nous a unis et nous rend complices à chaque instant.
Il faut se ressaisir et aller se jeter à l’eau. Je me rapproche des tapis bleus, j’entends les bips des départs des autres concurrents, mon tour se rapproche et j’ai hâte, hâte de partir pour une belle journée, je compte profiter de l’énergie de chacun pour continuer à avancer en souriant.
BBippppp…let’s go !!!! Un plouf qui ne ressemble à rien et maintenant je pose ma nage, j’essaie de nager propre. Le départ en rolling start évite la masse mais du coup pas d’aspiration dans les pieds. Et pas de combi non plus car la température dépasse les 24°c. N’étant pas une grande nageuse, je sais que je dois penser à ne pas perdre trop d’énergie dans la bataille au risque de n’avoir plus de jus sur les autres disciplines. Donc je prends un rythme de croisière et je profite du lever du soleil qui crée de jolis reflets dorés, argentés selon où se porte mon regard. J’arrive aussi à apercevoir les familles restées sur le bord hurlant le nom de leur héros du jour père, mère, frère ou ami, l’heure est aux déferlantes de cri…même si dans l’eau on entend bien souvent que le râle de son voisin, et o ne voit que son œil globuleux collé contre la lunette embuée. C’est comme ça que j’arrive à me détendre en souriant de tout et n’importe quoi, en m’accrochant aux détails environnants…et du coup hop les première bouées arrivent déjà. Le retour vers la zone de sortie de l’eau me semble plus facile sûrement aidée par le courant et aussi par le retentissement de la musique qui scande les coups de bras. D’ailleurs, premier moment d’énergie à la sortie de la première boucle. On refait le plein de sourires, on respire un grand coup, j’arrive à voir mon chéri et ma maman. Il faut tout de même rester concentrée et je refais un grand plouf !
Pendant le deuxième tour, je commence à me refroidir, c’est assez étonnant car je ne suis pas d’un tempérament frileuse et je me baigne même en maillot l’hiver dans la Manche…J’essaie donc d’accélérer mon battement de jambe pour faire circuler le sang, je pense à du chaud, notamment à celui qui m’attend pour la suite. Ce n’est peut-être pas plus mal de prendre un peu de fraîcheur vu les températures. J’ai tellement hâte d’aller chevaucher dans les plaines Vichyssoises.
Ma sortie de l’eau comme d’habitude, je me débarrasse de tout le matos rapidement, et hop le bonnet, et hop les lunettes…Hé oui je pense aux paparazzi qui vont me flasher. Pas de chance, je suis toujours aussi derrière un grand !
Munie de mon petit sac de transition, je vais dans la tente, un endroit préservé, un peu de calme, sorte de répit avant de s’engager sur la partie vélo. J’ajoute juste une paire de chaussettes et un maillot de vélo dans lequel j’ai mis mes gels. Dès la sortie de la tente, on se confronte aux acclamations, aux cris, à la musique, à cette horde de familles plus bigarrés les unes que les autres. J’en profite, je souris et je pars. Je me sens tellement bien et sereine.
C’est sur cette partie que je sais que je me confronterais le plus avec moi-même, que le temps viendra de l’introspection.
Tout en roulant, je me dis que si en ce jour je suis pleinement consciente de ce que je réalise, c’est parce que j’ai fini par apprendre à respecter mon corps, à l’aimer, lui accordant ce qu’il faut de repos pour le préserver, mais aussi le boostant en allant au-delà des mes limites. C’est ce savant équilibre qui m’a permis de mener mon corps où je voulais l’emmener. Je ne souffre pas, je vis ces instants précieux de reconnaissance de mon corps, je respire, je me sens vivante. Les odeurs des champs viennent me stimuler les narines, les enfants courant à côté des vélos avec les banderoles, les agriculteurs ébahis dans leurs champs, les mères de famille avec leur poussettes à message…toute cette joie c’est comme si je la prenais en pleine face complètement démultipliée. Ce corps que j’ai tant détesté et voulu anéantir un jour est en train de se révéler plus fort que jamais, il me promet que je peux compter sur lui : c’est comme si je faisais l’amour avec moi-même. Ce n’est pas une force mégalo qui m’envahit bien au contraire, mais plus un élan de générosité envers moi-même comme je ne me l’étais jamais permis.
Et là un souvenir m’envahit vers le 60ème km vélo…des images flash reviennent. Un jour…un jour d’anéantissement…un jour…une bouteille…une sensation de légèreté, d’ivresse…mon grand-père, son regard…ses bras…je titube…il me rattrape…le vide, le noir, le néant…
La main…et aujourd’hui cette même main c’est moi qui l’a lui tend pour qu’il s’y accroche. Il a été là pour me relever, il est là pour me voir me relever encore plus forte. Je pense tellement fort à lui…je pleure de joie sur mon vélo…vous le croyez vous ?
En plein Ironman les émotions s’affolent…je revis les étapes qui m’ont menée jusqu’ici, sorte de pèlerinage sur moi-même. C’est pour ça que je ne parle que très peu de chiffres, de moyenne, d’allure, de km…le plus important n’est pas là. Ce qui compte pour moi ce sont les émotions, ce qui permet de nous ravir, nous porter, nous délivrer. Et qui peuvent faire des miracles !
Le premier tour terminé, je jette un coup d’œil à ma montre et je me dis que je suis peut-être partie un peu vite. Mon chéri, mon coach, mon amour m’avait bien mis en garde sur le fait de ne pas partir trop vite, de garder les chevaux sous le capot sinon gare au coup de bambou. En effet, je me suis sentie super bien sur ce premier tronçon, je sais que le vent va se lever et que je dois continuer de gérer. Et je sais aussi que je ne vais pas tarder à le voir, celui qui m’a motivé, préparé, encouragé, fait que je me suis autant dépassée. D’ailleurs, pendant une longue sortie, il a fait preuve de patience notamment lorsque j’étais tétanisée et angoissée sur la traversée d’un haut pont. J’ai toujours eu horreur des ponts ayant e vertige. Et là, la fatigue aidant, je le vois comme un obstacle infranchissable. Est-ce un pont qui aura raison de moi ? N’ai pas déjà surmonté d’autres murs bien pires ? Je sens monter la panique, l’accélération de la respiration, alors j’appuie de toutes mes forces sur les pédales pour en finir rapidement… Cette anecdote me fait sourire pendant la course et me rappelle donc ô combien mon mari a eu raison de me botter les fesses ! Aujourd’hui ça semble passer tout seul. Mais qui vois-je après Bellerive-sur-Allier ? Mon cher et tendre qui a l’air tout surpris de me voir déjà à cet endroit. J’en profite pour lui dire que tout est ok et qu’il peut rassurer tout le monde. Enfin quand je dis tout le monde, je n’imagine pas à cet instant que plein de personnes me suivent via Facebook, via le tracking…J’aurai plaisir à découvrir tous vos messages : quel bonheur ! Merci du fond du cœur.
En effet, le vent s’est levé et vient danser sur mon visage. J’ai beaucoup appris durant la phase de préparation pour ne pas lutter avec les éléments mais patienter, apprendre à rester tranquille même lorsque ça devient plus dur. Cette leçon de vie a un retentissement profond. Aurais-je acquis une nouvelle sagesse ? Je tiens à rassurer ce qui me connaissent, j’ai encore un petit côté fofolle. Mais je me sens plus sereine. Et cet apaisement je l'ai puisé dans la complicité que je partage avec François : nous avons cette même passion pour le sport et le dépassement de soi. Il a su être là, présent au moment où je commençais à me relever et en ce jour suprême il est sur mon chemin...toujours !
Donc les champs défilent, les mêmes cris répétés de soutiens, les mêmes églises, le même bitume…et moi toujours accrochée à mon guidon. Je vous parle de l’état de mon entrejambe ou bien il faut censurer ? Doit-on rester dans le glamour à tout prix au risque de vous mentir sur l’état de souffrance que parfois j’endure allant jusqu’à saigner tellement les frottements sont importants. Vous l’aurez compris c’est la phase la plus trash de mon récit. Paradoxalement, ça me motive à aller plus vite et à vouloir vite arriver sur la course à pied.
Et oui j’ai utilisé la petite phrase « la douleur est temporaire, la réussite est éternelle ».
Et puis, je peux supporter ça quand d’autres n’ont plus leur jambes ou encore pire leur tête. Et là, de nouveau un moment émotion. Sans verser dans le pathos, ma grand-mère est atteinte d’Alzheimer et je vois sa dégradation au fil des mois
C’est difficile d’assister à cette lente destruction sans pouvoir interrompre le processus de perte de mémoire. Je sais qu’elle serait fière de me voir réaliser ce parcours. Je ne peux que lui prendre sa main dans la mienne et rentrer parfois dans sa bulle de délires.
Les gouttes de pluie qui viennent frôler mes jambes me rappellent qu’il faut que je reprenne ma vigilance pour ne pas risquer un faux écart. J’ai appris que la concentration peut s’amenuiser avec la fatigue et que précisément dans cette dernière phase à vélo tout peut arriver.
Je n’ai vraiment pas vu le temps passé…c’est génial ! Me voilà déjà de retour dans le parc à vélo et au passage, je vois François et tout autour de lui un groupe de supporters : Lénaïc, Alexandra… Et Maman ! Qui elle ne parvient à m’identifier visiblement… Je sens que j’ai été studieuse et appliquer correctement les préceptes du « grand manitou ». A savoir bien boire, j’ai pris tous les ravitos et manger : ma trousse de noix de cajou, biscuits, amandes et pain d’épice est vide. C’est bon signe ça ! Je vais avoir des bons points.
Dois-je m’attendre à avoir les cuissots tout raide dès que mon pied posera le sol ? Cette transition est toujours un peu plus délicate physiologiquement. A vrai dire, je ne ressens pas de lourdeur comme sur les autres formats. A moins que ça ne se révèle plus tard…
Du coup, j'enfile des chaussettes sèches et je pars illico. C'est parti pour une belle ballade dans Vichy ! A moi l'architecture art déco, les sources thermales, les rives de l'Allier, les chalets Napoléon III. Il n'y a pas que le sport dans la vie, il y a la culture aussi.
Tout semble aller au mieux dans le meilleur des mondes. Je pars, je cours, je vole…Mais vite, j’ai la nausée. Je ne parviens plus à supporter l’eau pourtant essentielle vu la chaleur qu’il fait. Manger ça me dit encore moins. Je sens que l’affaire va se compliquer et je ne parviens pas à recharger les batteries. Je savais que ça pouvait coincer à un moment, mais je ne m’y attendais pas dès le début. J’espère vomir pour me soulager l’estomac mais rien n’y fait. C’est là que le mental doit venir pour soutenir le corps. C’est là que je vais aller chercher la force de lutter, la force de passer au dessus ce mal être. Ca ne va pas durer. Sur le passage du premier pont, mon chéri est là en vélo. Il voit bien que ça ne va pas très fort. Il me dit de me rappeler ce que j’ai vécu notamment à l’entraînement. Accepter le mal pour mieux le contourner. Comme dans la vie, j’ai eu mal mais j’ai su rebondir et profiter de ce que la vie peut apporter. J’ai eu la nausée aussi quand on m’a violée, j’ai eu la nausée quand j’ai trop bu, j’ai eu la nausée de me voir ainsi…Je reste donc confiante. Je marche un peu et au ravito j’essaie le coca et la légendaire eau pétillante Saint Yorre. J’ai envie de transcender la douleur pour en faire quelques chose de plus beau. C’est un peu ce qu’a fait l’artiste mexicaine Frida Kahlo.